Maître d’ouvrage : Busan Opera House committee | Architecte associé : Karim Basbous | SHON : 60 000 m2 | Concours : 2011 | Programme: Grande salle de spectacle 1500 places, salle multifonction de 900 places, cinéma en plein air, restaurants et services, administration, terrasse panoramique, agora |
Ce concours international nous semblait l`occasion idéale de nous confronter à un programme de grande taille et de proposer une réponse à une question fondamentale pour le XXIème siècle : que peut être un bâtiment démocratique pour la ville d`aujourd`hui ?
Nous ne nous faisons aucune illusion : de même que l`Opéra était au XIXème siècle un « marqueur social » pour l`aristocratie et la grande bourgeoisie, le bâtiment « Opéra » est aujourd`hui un « marqueur architectural » pour les villes dans la compétition mondiale pour la notoriété. La volonté de se distinguer aboutit, la plupart du temps, à dessiner pour chaque ville le même projet.
Il n`empêche que le programme reste passionnant parce qu`il est complexe et que la taille du bâtiment en fait de toute façon un espace urbain per se.
Le concours était l`occasion de vérifier si l`on peut, aujourd`hui, faire un bon projet dans un tel contexte où, comme il était probable, la plupart des propositions seraient des « blobs » informes, coulants et occasionnellement verdurés. Notre second prix prouve que ça n`est pas impossible.
Dans l`histoire de l`architecture occidentale, l`Opéra oscille entre trois archétypes depuis le XVIIIème siècle :
- un archétype architectural : celui de la « machine parfaite » où se fabriquent le spectacle et les rêves.
- un archétype social : c`est le lieu de distinction sociale par excellence où l`on vient se voir écouter de la musique.
- un archétype urbain : c`est le grand programme susceptible de structurer et de représenter une ville.
Au XIXème siècle, le palais Garnier représente au mieux les deux derniers pôles, sociaux et urbains. Au XXème siècle, le rôle social de distinction existe toujours mais ce qui prédomine dans la forme architecturale c`est la « machine à spectacle » (projet d`Alvar Aalto à Essen) et la représentation urbaine (projet de Jørn Utzon à Sydney). Dans tous les cas, la forme musicale de l`opéra semble une forme figée qu`illustrent très peu d`exemples modernes convaincants (citons au moins Lulu d`Alban Berg et le Grand Macabre de György Ligeti)
Au XXIème siècle, c`est le dernier point qui domine : l`opéra est un étendard pour des villes en compétition pour la notoriété. La question du programme et du fonctionnement reste bien sûr posée mais elle est limitée à la salle et aux équipements techniques. Or le point le plus délicat, le plus architectural peut-être porte sur l`à-côté de cette boîte noire : comment on arrive à la salle, comment on en sort, comment on circule, comment le foyer regarde la ville, etc.
On a tenté de gommer l`aspect de distinction social de l`opéra caractéristique du XIXème siècle : depuis l`opéra Bastille, on sait qu`il est impossible de faire un « opéra démocratique » ; ou plutôt, qu`il est impossible de faire un opéra qui soit également démocratique. Nous allons donc tenter ici de prendre le problème dans l`autre sens, et de prendre prétexte du programme pour faire un bâtiment démocratique qui soit également un opéra.
-un bâtiment démocratique est grand : il semble pouvoir presque abriter la ville entière.
-le « véritable » programme d`un bâtiment démocratique est d`abriter, d`accueillir, de mettre ensemble. Il doit le montrer. Comme la ville il permet d`échanger et de partager, et le montre.
-le programme fonctionnel du bâtiment démocratique (ici un opéra) justifie le projet.
Le projet
Le programme du concours contient deux grandes salles de spectacles : l`Opéra proprement dit avec tous les équipements afférents et la grande salle modulable. Les formes de ces deux salles sont celles qui assurent un fonctionnement optimal : une salle à l`italienne avec parterre et deux balcons pour l`opéra, une « boîte à miracles » rectangulaire pour la salle modulable.
Le projet va naître de l`écart installé entre ces deux formes données, à l`image de palais qui, en s`écartant, dessinent une place dans une ville. Entre ces deux salles majeures du programme les espaces de l`architecture vont devenir de véritable espaces urbains.
L`Opéra doit avoir une identité forte, et être unitaire. Pour cela, on relie entre eux les volumes des salles : côté ville, par un haut portique qui fait l`image urbaine du projet ; côté mer, par un vaste espace urbain couvert ouvert sur la baie (un quai).
Le portique va abriter les éléments du programme qui peuvent être facilement disposés à grande hauteur tels que les bureaux, ou qui doivent l`être pour assurer leur fonction, comme le restaurant panoramique. Le toit qui couvre le quai abrite, lui, les salles de séminaires.
Image urbaine et paysage
Depuis la ville, le vaste portique forme un rideau de scène, comme une figure métaphorique du théâtre : il ouvre sur un monde nouveau, sur le soleil levant et sur la baie. C`est une figure héroïque de la puissance, une façade debout pour une ville qui se développe et pourra s`y représenter : un portique des vents dont la présence rappelle celle des navires.
Ce cadre de scène va rassembler les futures tours du front de mer avec une certaine solennité : l`horizontale apaise, elle ne cherche pas à être la plus haute.
Une fois passé sous le portique, on se trouve dans la vaste cour située entre les deux salles principales. D`une géométrie très simple, cet espace apaisant et mystérieux forme une sorte d`avant-scène pour la comédie urbaine et s`ouvre sur un quai, un vaste espace urbain couvert sans être fermé, qui s`ouvre sur la mer. C`est un embarcadère pour la représentation où va pouvoir se déployer dans le vaste paysage de la baie de Busan la vie sociale de l`opéra.
Depuis le quai, un monumental escalier latéral mène au toit. Là, un espace de représentation en plein air donne la sensation magnifique d`habiter le ciel et monte en pente douce vers le parc qui couvre tout le bâtiment de l`opéra. Pour faire de l`Opéra un bâtiment profondément démocratique, tous les éléments extérieurs aux salles proprement dites sont offerts à tous. A tous, le projet offre ses parcours, ses toits, son parc, ses quais et ses terrasses, comme autant de promenades qui font de chaque visiteur un acteur du spectacle urbain.